La version de Tabari

 

La prière innovée

Lorsque je me suis converti à l’Islam il y a environ une quinzaine d’années, j’allais, avec mon père accomplir la prière dite de Tarawih. Cette prière débute avec le commencement du mois du jeûne du Ramadan et se termine (généralement) le 27e jour de ce même mois. Lorsque le mois du Ramadan débutait, nous nous rendions donc, mon père, moi-même, ainsi que d’autres fidèles, amis de mon père, à la mosquée accomplir, le pensions-nous, notre devoir de musulman en effectuant la prière dite de Tarawih.

J’ai ainsi, comme tout bon musulman (sunnite), accompli cette prière durant quelques années. Car, si le Prophète a ordonné, recommandé ou même uniquement accompli les Tarawih, on se doit donc, à notre tour de les accomplir. Voilà mon raisonnement, et le raisonnement, je le crois, que tout musulman a, ou devrait avoir. Raisonnement, selon moi, parfaitement juste et conforme à l’esprit de l’Islam.

Cependant, un jour, je me suis intéressé à un livre intitulé « Histoire des premiers temps de l’Islam[1] », dont l’auteur se dit ouvertement Chiite. Ce dernier y dénonce, entre autres, la prière dite de Tarawih comme étant une innovation instituée par Omar, sans pour autant, d’une façon ou d’une autre, argumenter son affirmation.

N’étant pas Chiite, je n’ai donc, d’abord pas cru à cette accusation que je considérais comme extrêmement grave. Puisque l’auteur accuse nommément Omar, fils de Khatab (رضي الله عنه), d’avoir introduit cette innovation. Et nous savons combien au regard de la loi Islamique, qu’innover est blâmable. Je me suis dit : « Comment un compagnon du Prophète, de surcroît le second calife, pouvait-il inventer une prière, plus grave encore, l’institutionnaliser ? »

Impossible ! Puisque seuls Allah, ou son Prophète, peuvent instituer une prière. Aucun homme n’a le droit d’inventer une prière, pas plus qu’il n’a le droit d’inventer un jeûne, etc. Il peut, certes, se l’imposer à condition bien sûr, que cela n’entre pas en contradiction avec les enseignements, mais en aucun cas, il n’a le droit de l’institutionnaliser.

Où irions-nous si chacun de nous avait le droit d’inventer une pratique religieuse pour l’imposer à, une, deux, cent, trois cents personnes et plus ? A plus forte raison, lorsque cette pratique contredit l’enseignement ! Je me disais donc que c’était encore un mensonge des Chiites qui tentent, une fois de plus, de culpabiliser un compagnon du Prophète, qu’ils, nous le savons, détestent.

Cependant, et afin de prouver sa bonne foi, l’auteur cite une référence Sunnite, en l’occurrence, l’historien Tabari[2]. Cela m’a donc contraint, conformément à la loi et à l’éthique de l’Islam[3], de me pencher plus sérieusement sur la question. Puisque, on le sait, Tabari n’était pas Chiite, et que, on le sait aussi, la plupart, pour ne pas dire tous les savants dits Sunnites, se réfèrent à lui. Même si l’on prétend qu’il fut infiltré par des Chiites, mais cela est un autre débat.

Si donc Tabari lequel n’était pas Chiite et qui, de surcroît, est reconnu comme un grand savant, avance que les Tarawih sont une innovation établie par Omar, c’est qu’il doit savoir de quoi il parle ! Je me décidai donc, et dans un premier temps, d'examiner le livre de Tabari afin de savoir ce qui est exactement écrit à ce propos. À mon grand étonnement, je fus doublement surpris, puisque non seulement, je lus ce qui suit : « L’une des institutions louables, établie par Omar, fut celle de la prière dite de Tarawhir au mois de Ramadan. Il (Omar) adressa des lettres à toutes les villes des possessions musulmanes pour prescrire cette prière[4]

Tout d’abord, je constate que c’est bien, comme l’a écrit et affirmé l’auteur du livre : « Histoire des premiers temps de l’Islam », Omar qui institua cette prière. Néanmoins, je fus plus surpris encore, lorsque je lus le mot : « louable ». En effet, Tabari dit que ce fut l’une des institutions : « louables d’Omar » ! Or, comment un grand historien et savant comme Tabari pouvait-il louer une innovation, à plus forte raison lorsque l’on sait avec certitude que cette innovation contredit, comme on le verra, radicalement la Sunna ?

Je décidai donc de pousser plus loin encore ma recherche, tout d’abord en me penchant sur la version originale du livre de Tabari, puisque le texte ci-dessus cité, résulte de la traduction de Hermann Zotenberg.

Je lus donc la version originale de Tabari, laquelle est, on le sait, en langue arabe.

À la lecture de ce texte, je fus stupéfait ! Voici ce qui y est écrit : « Et c’est lui (Omar) qui le premier a rassemblé les gens (musulmans) sous la direction d’un seul Imam pour accomplir la prière dite de Tarawih durant le mois du Ramadan. Il adressa des lettres à toutes les villes des possessions musulmanes pour leur ordonner d’agir ainsi[5] », etc. Mais… où est donc passé le mot « louable » pourtant clairement mentionné dans le livre de Tabari version française ? La raison pour laquelle le mot « louable » n’est pas mentionné dans la version originale de Tabari est due au fait que le mot louable a été purement et simplement inventé !

INCROYABLE !

Incroyable certes, mais pourtant vrai ! Ainsi, on veut faire croire au lecteur, probablement pour donner un caractère plus licite des Tarawih, que Tabari a dit que les Tarawih furent une innovation louable, alors que Tabari n’a jamais écrit cela ! De plus, et comme on le verra, comment Tabari aurait-il pu écrire cela, lorsque l’on sait avec certitude, que cette pratique les Tarawih, contredit l’ensemble des informations en notre possession, lesquelles proscrivent clairement, et sans l’ombre d’un doute, les Tarawih ?

En réalité, et comme je l’ai déjà dit, Tabari n’a jamais écrit que les Tarawih étaient une institution louable. Ce n’est qu’un rajout parmi tant d’autres. Ainsi, le lecteur pourra découvrir dans mon livre « Qui est le criminel qui a falsifié le livre de Tabari ? » à quel point celui de Tabari a été dénaturé.

En conséquence de quoi, nous sommes contraints de constater qu’un, ou des manipulateurs, se sont permis de dénaturer le livre de Tabari.

Qui sont-ils ? Quel est leur objectif ?

Un certain nombre d’éléments probants, laissent à penser, que, manifestement, nous sommes au cœur d’un conflit Chiite/Sunnite. Étrangement, on s’aperçoit que cette fois-ci, les manipulateurs se trouvent du côté Sunnite. Puisque la falsification ici citée, n’a sans l’ombre d’un doute qu’un seul objectif, celui de préserver Omar, fils de Khatab, de toute critique, et par conséquent, le blanchir de toute erreur, déviation ou innovation blâmable. Bien que celui-ci n’a évidemment, rien demandé !

Qui ? Cela peut venir du traducteur lui-même, comme cela peut venir d’une ou plusieurs autres personnes.

Pourquoi ? À l’évidence, et cela ne fait aucun doute, afin d’induire les musulmans en erreur. On préfère vraisemblablement savoir les musulmans à la mosquée s’éreintant à prier, plutôt que de les voir évoquer l’actualité politique. Puisque l’on sait très bien, que le mois du Ramadan est propice à l’affrontement guerrier. Il ne serait donc pas du tout étonnant que si cette innovation, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, c’est-à-dire à l’échelle planétaire, ne soit pas dénoncée, c’est parce qu’on le veut bien ! Quoi qu’il en soit, l’absence totale de dénonciation, volontaire ou pas, arrange sans aucun doute possible, tous les États mécréants et hypocrites, ce qui est, on le conviendra, une bien étrange coïncidence !

Cependant, une autre hypothèse est aussi et parallèlement envisageable, à savoir que l’on ait voulu blanchir Omar.

L’affrontement Chiite/Sunnite y joue probablement un rôle important. On tente de conforter des thèses Sunnites, non pas par l’étude impartiale, mais par le mensonge et la manipulation. Ce qui est fort lamentable.



[1] Sayyed Safdar Husayn. Edition : Publication du séminaire islamique

[2] Voir biographie à la fin du fascicule.

[3] En effet, dés lors qu’un propos ou un écrit est appuyé par une référence historique, on se doit de se pencher sur ce dit afin de le crédibiliser ou au contraire le décrédibiliser.

[4] Tabari. Edition : D’art les heures claires. page 541

[5] Tabari. Edition: Dar Kitab al Ralmiya. Page 569-570.